Pauses temporelles – Luc Renders – Photographer

Pauses temporelles

«  » » Toujours sollicité par la télévision, la publicité et le net, nous nous contentons de surfer sur les apparences et de gérer les urgences. Tout va si vite, que rien ne semble arrêter la course effrénée du temps.  Dans ses « Pauses Temporelles », Luc Renders, écrivain et photographe, décide donc de mettre à nu ses perceptions, de se laisser entraîner par l’étrange ou l’insolite. C’est  l’occasion pour lui de méditer sur la nature humaine et ses méandres. Il cherche à donner un sens symbolique et philosophique à ses photographies. » » »

 

https://www.luc-renders.com/pauses-temporelles/

 

 

 

Les photographies sont accompagnées de textes….

WALL OF DOLLS   – Mur des poupées

Encore aujourd’hui, il y a une femme
Qui meurt chaque heure
Sous les coups et les larmes,
Sous les angoisses et les peurs,
Sous la violence de leur partenaire,
De ses pulsions meurtrières.

Le monde est affable de toutes sortes de misère,
De potins, de faits divers, de faits de guerre
Venant des quatre coins de la terre.
Et nous restons implacablement insensibles,
Inertes aux douleurs et aux cris quasi inaudibles
De ces femmes en état d’aphasie
Alors qu’elles nous ont donné la Vie.

La force du mâle se fait brutalité,
La marque de sa virilité
Ou de sa faiblesse,
D’une faille qui sclérose toute tendresse.

Notre indifférence
Relègue ces femmes au silence,
Au devoir de se taire
Pour ne pas déplaire,
De crier leur douleur
Dans des sanglots et des pleurs,
Et cette lourde charge d’être
A la fois « Femme » et « Mère ».

 

 

 

 

 

L’AVENIR

Nous sommes tendus vers notre avenir,
Avec pour mot d’ordre : « Bâtir »,
Avec la certitude ou la croyance
De nos arrogances.

Mais où plongeons-nous nos racines,
En cette terre utérine,
Pour n’avoir que de vulgaires radicelles
Et des branches sans excroissance,
Sans plus aucune résilience,
Avec la peur d’encombrer le ciel ?
Nous sectionnons nos branches à chaque saison,
Nous n’avons plus que de monstrueux moignons,
Des poings serrés qui maudissent le ciel
D’une rancœur existentielle.
Avec la crainte du mauvais œil,
Nous nous privons, jusqu’à notre cercueil,
D’une couronne immense de branches et de feuilles.

Nos troncs sont si fins, si frêles,
Qu’ils ne supporteront aucune grêle,
Ils ne résisteront à aucune mutation,
A la nécessaire prochaine évolution.

Nous vivons dans une virtualité instrumentalisée
Pour échapper à une réalité conditionnée,
L’augmentant pour la travestir
Avec des idées puériles.
Serait-ce là notre avenir,
Notre dernière île,
A la quête d’une nouvelle matrice
Echafaudée d’artifices ?

 

 

 

 

 

LA NUDITE DES REVES

Pour abuser la solitude
Et te fondre dans une forme d’hébétude,
Tu peuples ta psyché
D’un monde imaginé
De personnages factices
Sur fond de toile, en coulisse,
Jusque dans les failles reculées des profondeurs
Et des insondables hauteurs.
Lors de ces entractes,
Sans plus aucun contact
Avec la foule des artéfacts,
Tu es ramené plus cruellement encore
Au vide de ton âme, comme mort.
Alors tu continues sans cesse le même spectacle,
Devant le même public en attente de miracles,
Sans jamais te lasser de l’angoisse enivrante,
De l’appel des émotions palpitantes,
D’être toujours applaudi, aimé,
De louanges encensé,
Adulé comme le centre du monde,
Traversé par des ondes,
Avec pour seul univers
La scène, ses lumières
Et les spectateurs devant toi dans l’ombre,
Derrière toi, tes coulisses, tes décombres.

 

 

 

 

 

MEDUSE

Insoumis, cachés dans les replis obscurs
De notre psyché atrophiée,
Malgré les cris plaintifs et les brûlures
Qu’ils endurent,
Les Bêtes attendent leur heure, résignés.
Les plus forts d’entre nous
Trouveront dans un face à face
Avec le Léviathan,
Sans utiliser un quelconque rite vaudou,
Les failles de sa cuirasse
Grâce au fil d’Ariane,
Et mettront fin à l’esclavage des stupeurs
Avant l’heure.

 

 

 

 

 

PIN  –  OUR DESTINY

Voudrions-nous être épinglés
Comme de vulgaires insectes de collection
Sur un morceau de polyuréthane, écartelés,
Devenir l’objet d’une sordide admiration ?
La beauté diaphane de leurs ailes les a conduit
Vers leur propre nuit,
Dans des filets prédateurs
En quête de lueurs.

Les lépidoptères attendent, en osmose,
Impatiemment leur métamorphose,
Dans le silence cotonneux,
Au creux de leur œuf soyeux,
Sans penser à ces taxidermistes morbides,
Frénétique, avides
De l’éclat lumineux de leurs ailes
Aux quintessences surnaturelles.

Serpents, nous ne faisons que muer de peau
Ou entretenir de vieux oripeaux.
Nous rampons entre les pierres de nos misères,
Nous hantons les failles obscures de nos tanières
En quête de gemmes et d’étincelles,
Pire encore, nous sacrifions sur les autels
Tout ce qui bêle.

 

 

 

 

ETALAGE PUBLIC

L’esthétique de la chair,
Affectif ou alimentaire,
Des morceaux de choix
Qui font la fierté des bouchers
Comme celle des prostituées
Faisant étalage de leurs appâts.

A chacun ses talents,
Réfrigérant ou envoûtant,
De la découpe, de la séduction,
Le point commun restant l’absence d’émotion,
Et de tirer profit d’un certain cannibalisme affectif,
De nos instincts primitifs et compulsifs.

 

 

 

 

 

 

MELANCOLIE

La dorure des feuilles mortes me réjouit.
Nul besoin de posséder des lingots d’or
Pour ressentir l’émoi lumineux dont je jouis
De dévoiler les apparences de la mort.
Certes le froid de l’hiver me glace les os
Comme du fond d’un cachot.
Mais c’est dans le recueillement
Que la Nature puise ses forces,
Sous la rugosité de ses écorces,
Pour renaître aux premières chaleurs du printemps.

 

 

 

 

 

 

DATING°

La mort est-elle si envoûtante,
Une dépouille qui hante,
Si excitante,
Si séductrice,
Proche du vice ?
Qu’y a–t-il dans la nature mortifère de l’homme,
De si subjuguant dans son délirium
Tremens ?

L’homme met ses jouissances,
Ses préséances,
Dans l’inventaire funeste
De ses armes de destructions,
De toutes sortes d’aliénation,
Qu’il répand comme la peste
Avec l’aide de son intelligence rationnelle
Aux relents mortels,
Avide de domestication,
De soumission.

Décharné, intellectuel,
Le cerveau greffé de logiciels,
L’homme finira sa vie
Dans un cabinet de curiosité,
Au sein d’une même famille,
A côté des monstres génétiquement modifiés
Qu’il aura lui-même engendrés
Dans ses laboratoires,
Certes grâce à son génie
Et à sa folie pour l’hégémonie,
Ainsi qu’à son empirisme du hasard.

°Tiré d’une toile « La belle Rosine » du peintre belge Antoine Wiertz
(Musée Wiertz – Bruxelles)